Interview / Reportage

Retour sur la résidence de Pier Lamandé "Le chant d'amour et de mort du cornette Christoph Rilke"

Le metteur en scène Pier Lamandé a travaillé en mars dernier au Théâtre Legendre avec le comédien Tristan Rothhut. Rencontre avec Pier Lamandé à l'issue de cette première semaine de résidence, sur une adaptation d’un texte de Rainer Maria Rilke : Le chant d'amour et de mort du cornette Christoph Rilke.

 

Bonjour Pier, comment vas-tu ? Où es-tu actuellement ?

Je vais bien. Je suis à Paris, à la maison !

Tu as récemment mené une première semaine de résidence au Théâtre Legendre, sur une adaptation d’un texte de Rainer Maria Rilke : Le chant d'amour et de mort du cornette Christoph Rilke, pourquoi ce choix de texte ?

Ça fait longtemps que j’ai ce texte avec moi. Je l’ai découvert il y a plus de 20 ans. Il me touche beaucoup et je trouve qu’il résonne particulièrement dans l’époque que nous traversons. L’histoire de Cornette, c’est celle d’un jeune homme qui essaye de revêtir le costume de l’adulte.

C’est la première fois que tu travailles avec le comédien Tristan Rothhut, raconte-nous comment tu l’as choisi pour ce rôle qui est un seul en scène …

J’ai vu jouer Tristan pour la première fois il y a une dizaine d’années. Je l’ai ensuite croisé sur des projets où il était dramaturge. Avec Tristan, quand nous nous nous sommes rencontrés, nous avions déjà une sorte d’intuition de vouloir travailler ensemble et de trouver un chemin commun. Cette semaine de résidence, c’était notre première rencontre en quelque sorte ! Ce qui m’intéresse, c’est que l’acteur qui porte ce texte l’incarne visuellement. Son physique est pertinent par rapport à cette œuvre allemande. C’est un peu un imaginaire d’Épinal mais ça fonctionne. Il était important que ce soit un jeune acteur et du coup, ça été une évidence que ce soit Tristan.

Tu parles de corps et de physique, il y a des moments chorégraphiés alors que Tristan n’est pas un danseur professionnel, explique-nous ce choix esthétique ?

Le texte est construit en épisodes. C’est un poème en strophes, chaque strophe tient sur une page. À chaque épisode, on tourne la page. Entre chaque partition, il y a quelque chose de l’ordre de l’intime qui peut se raconter. De par son parcours, Tristan a une physicalité intéressante car il a travaillé avec des marionnettistes et des chorégraphes à différents endroits où le corps est langage. Il a des clés pour comprendre l’utilisation et la prolongation de son corps dans l’espace. La question de l’expression par le corps est venue très vite. Ça m’intéressait aussi de travailler avec quelqu’un qui sait utiliser la chorégraphie dans l’expression de son émotion brute. La danse est une respiration du corps.

Que peux-tu nous dire à cette étape de travail ? 

C’est un travail qui s’amorce, quatre jours de travail c’est très court ! C’est une parole poétique, un récit épique. Aujourd’hui, comment faire entendre ces résonnances là en enlevant l’aspect romantique que l’on peut facilement y projeter ? Comment l’amener dans une théâtralité qui est actuelle ? Cette première semaine de résidence a permis de poser des cadres assez forts afin de pouvoir se libérer, s’épanouir, et être dans l’interprétation ensuite. D’ailleurs, j’ai tendance à toujours préférer partir du cadre pour, après, trouver une liberté ! Dire ce qui est écrit sans le surinterpréter, voir comment cet écrit traverse celui ou celle qui le dit. À l’issue de cette première semaine de résidence, Tristan a mesuré une dimension du poème : sa théâtralité et sa mise en scène.

Dans cette pièce, la danse, comme la musique, sont des respirations. Tu fais des choix audacieux, avec des morceaux de Led Zeppelin ou de Nana Mouskouri, c’est assez inattendu !

Je crois beaucoup au travail musical dans ma démarche. J’ai une attention particulière à la partition.

Cette première semaine a été celle du déchiffrage, d’une première traversée, très contrainte et très attentive, pour prendre des symboles musicaux en restant justement dans la partition. Ce premier travail permettra d’être dans l’interprétation dans un second temps. La musicalité est très concrète, et pas lyrique ni classique.

Ce texte, c’est un acteur actuel qui interroge Rilke, qui lui-même interroge l’histoire de son ancêtre. On a vraiment l’idée de trois générations d’hommes au plateau et de trois époques différentes avec des interstices de 200 ans. Traverser ce texte grâce à la musique, c’est aussi un voyage temporel avec des références à ces époques. Très rapidement, il est apparu que le poème demandait des choix musicaux extrêmement clairs. Il fallait des partis pris aussi forts que la langue du texte. À partir de là, on a créé une bibliothèque musicale, avec Tristan. Certains morceaux qui nous paraissaient évidents hors plateau n’ont finalement pas fonctionné sur le plateau car ils n’étaient pas assez francs dans le moment musical. C’est comme ça que l’on est arrivés à ces choix-là, extrêmement différents, tels que Poulenc sur une forme a capella d’un chœur, Led Zeppelin avec ce morceau très connu Whole Lotta Love et Nana Mouskouri qui chante une chanson de Serge Gainsbourg, Les yeux pour pleurer, qui exprime la nostalgie d’une époque. Tous les morceaux musicaux choisis sont extrêmement lisibles, clairs et simples, et c’est ce qui fonctionne !

Avec Tristan, vous avez prévu de revenir bientôt, la semaine du 19 avril pour une deuxième étape de travail dans un autre espace plutôt adapté aux musiques actuelles : la scène du Kubb. Pourquoi ce choix de lieu ?

Nous avons travaillé et inscrit le poème dans le théâtre Légendre qui est vraiment un édifice séculaire, un objet d’une grande richesse pour notre créativité. C’est un lieu très signifiant sur l’époque.

Envisager de travailler le texte au Kubb, c’est l’inscrire dans quelque chose de très contemporain, dans un lieu qui a moins de 10 ans d’existence. La question de la langue dans un univers contemporain m’intéresse autant que dans un univers historique. Dans le processus de création d’un seul en scène, le territoire, c’est l’acteur. En tant que metteur en scène, mon rôle est d’accompagner l’acteur à pouvoir recréer son imaginaire, le voyage que lui-même fait à l’intérieur du texte dans n’importe quel espace.

 

Découvrez le podcast de Pier Lamandé (interview Claire Nini, montage Juliette Huguet)

 


Publié le 12 avril 2021

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